Quand la BD… parle d’adolescence

[ Texte initialement publié dans l’édition de juillet-août du magazine des Cinémas Le Clap. ]

Ce n’est pas facile d’avoir 16 ans. On ne se sent plus vraiment adolescent, mais on n’est pas encore adulte. On chemine, entre ce qu’on veut être et ce qu’on croit être, en quête d’amour autant qu’en quête de soi. Prenant l’affiche en juillet, le film Seize printemps nous amène dans ces âges, dans ces voies. En parallèle, pourquoi ne pas l’explorer également par le truchement de la bande dessinée?

Années caméléon

Comme porte d’entrée vers ces années, la scène BD québécoise nous a offert une fort belle porte d’entrée en 2020 : le superbe Bouées de Catherine Lepage (La Pastèque).

L’autrice nous amène vers ses seize ans. Vers ces années où l’on fait des choix décisifs,  sans toutefois avoir la capacité – ou le recul – pour en mesurer la portée, ou la raison. On choisit, parfois, ce que l’on est en fonction de ce qui pourrait plaire, à des amis, à un amoureux potentiel. Et, adolescente, Catherine voulait plaire. Quitte à changer – de cheveux autant que d’intérêts.

Dans un album aux couleurs fluorescentes, on suit l’autrice au fil de quelques idylles amoureuses. Sur fond d’années 1980 ou 1990, on découvre des instants où elle s’oublie un peu et se fond dans l’identité de son partenaire d’un moment. Entre country et métal. Entre permanente ou coupe garçonne. Entre Dave, Luigi ou Steven. La « p’tite bolée » s’oublie, s’efface, se cherche. Et au fil des planches, l’autrice offre au lecteur une série d’anecdotes et de moments, avec la tendresse qu’offre le recul des années, non sans humour et, surtout, avec une grande sincérité.

Il faut dire que l’autrice, au fil des récits, a pris l’habitude de se raconter. Dans des ouvrages métissés, entre livres illustrés et bande dessinées, elle a mis en scène son angoisse, sa dépression, son mal-être – Fines tranches d’angoisse, Zoothérapie, Douze mois sans intérêt (respectivement chez Somme toute et Mécanique générale). Son art est devenu, à sa façon, thérapie. Des moments les plus sombres, elle travaille à tirer du beau, et à le partager.

La plongée est douce et amère. Pour l’autrice, on l’imagine. Mais aussi pour le lecteur ou la lectrice qui, peu importe leur âge, ne pourront que retourner, eux aussi, vers ces années – vers ces moments pas toujours beaux, mais bien souvent marquants, vers ces décisions qu’on regrette mais qu’on comprend. Bref, dans Bouées, Catherine Lepage nous invite à plonger vers cette fin d’adolescence, et y livre les moments marquants des siennes pour mieux inviter le lecteur replonger dans les siennes – offrant ainsi un livre drôle et émouvant, nostalgique et vrai.

Perte de soi

Ce côté « vrai », on le retrouve aussi dans La Grosse laide, de Marie-Noëlle Hébert (Éditions XYZ). Le récit a été documenté largement, au gré de sa sortie en 2019 – amenant l’ouvrage à se retrouver finaliste à divers prix tels le Prix des Libraires, ou encore les Bédéis Causa. Et avec raison!

Au fil des pages, appuyés par un dessin au crayon de plomb, l’autrice se raconte dans ses moments les plus durs. Là aussi, l’art se fait thérapie : Marie-Noëlle Hébert replonge dans ses souvenirs pour mieux les dépasser, retrouve celle qu’elle voyait alors pour mieux se retrouver telle qu’elle est réellement, pour aller au-delà des remarques insidieuses ou des commentaires déplacés, des remarques maladroites. Parce qu’un sujet semblait prendre toute la place : son poids. Quidams, amis ou famille : tous avaient un avis. Jamais de lieux où se réfugier autre que dans la solitude. Jamais de moment pour se sentir belle, ou pour avoir l’impression qu’on la voyait au-delà de son corps…

Pour dessiner l’album, Hébert fait usage d’un miroir déformant pour se représenter telle qu’elle s’est longtemps vue, et pour que le lecteur la voit telle qu’elle se voyait. La Grosse laide, d’un point de vue pédagogique, permet de comprendre la grossophobie, par son témoignage sincère et prenant, l’autrice met en exergue ses conséquences. Mais au-delà de cet aspect, La Grosse laide c’est d’abord et avant tout un récit profondément humain, solide et réussi, qui sonne vrai, et qui est vrai.

Avec sa première BD, Marie-Noëlle Hébert avait osé se livrer, et aller jusqu’au bout de son témoignage. Et ce faisant, elle avait offert l’un des récits incontournables de 2019 pour le 9e Art québécois.

Vers l’âge adulte

Évidemment, les bandes dessinées qui s’intéressent à l’adolescence sont légion. Au fil des années, la thématique a intéressé grand nombre d’autrices et d’auteurs, ne serait-ce que par la force des émotions ressenties ou le poids marquant des événements vécus.

Pour compléter ce trio de clins d’œil, allons vers Bastien Vivès qui, en 2017, offrait son magnifique Une sœur (Casterman).

Une sœur, c’est le récit d’un été, ce genre de vacances typique du cinéma et de la littérature : celui où l’on quitte la maison pour aller vivre quelques semaines ailleurs. Pour Antoine, ce sera le bord de la mer. En vacances avec ses parents, laissé à lui-même, il se promène, dessine, passe le temps comme il peut, jusqu’au moment où la fille d’une amie de ses parents s’incruste dans son quotidien. Une sœur qui n’en est pas une. Une relation qui chavire le quotidien, d’où l’aventure émerge et qui fait aller trop loin, ou presque.

Antoine enchaîne les premières fois. Avec un trait minimaliste, le récit mêle humour, émotion et sexualité. Par leur richesse, leur psychologie, les personnages sonnent et parlent vrai. Ils suscitent souvenir et nostalgie chez le lecteur, rythmés par les moments, par les conversations, par la complicité naturelle de ses personnages, autant que par les surprises qu’il arrive à créer.

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