Balado | Émission du 7 janvier 2021 – 2021 en 20 albums

Pour la première édition 2022 de La vie en BD, notre animateur Raymond Poirier propose un survol de l’année BD 2021 en 20 albums coups de coeur, tirés des publications québécoises et internationales.

Coups de coeur québécois (en format «Top 11») :

  1. Le Petit astronaute, de Jean-Paul Eid (La Pastèque)
  2. Mégantic, un train dans la nuit, de Christian Quesnel et Anne-Marie Saint-Cerny (Écosociété)
  3. C’est le Québec qui est né dans mon pays, d’Emanuelle Dufour (Écosociété)
  4. Football-Fantaisie, de Zviane (Pow Pow)
  5. Vers la tempête, de Jean-Sébastien Bérubé (Futuropolis)
  6. Bagne bagne bagne, d’Étienne Prud’homme (Mécanique générale)
  7. René Lévesque, quelque chose comme un grand homme, collectif (Moelle graphik)
  8. Tu ne tueras point, de Jean-Louis Tripp et Cyril Doisneau, d’après Christophe Hondelatte (Le Lombard)
  9. Créatures T1 et T2, de Djief et Stéphane Betbeder (Dargaud)
  10. Chroniques de jeunesse, de Guy Delisle (Pow Pow)
  11. Poisson à pattes, de Blonk (Pow Pow)

En complément, voici également les coups de coeur internationaux mentionnés lors de l’émission (en ordre alphabétique) :

  • Jours de sable, d’Aimée de Jongh (Dargaud)
  • René.e aux bois dormants, d’Elene Usdin (Sarbacane)
  • Le Choeur des femmes, d’Aude Mermilliod, d’après Martin Winckler (Le Lombard)
  • J’ai tué le soleil, de Winshluss (Gallimard)
  • Queenie, d’Elisabeth Colomba et Aurélie Lévy (Anne Carrère)
  • L’Âge d’or T2, de Roxane Moreil et Cyril Pedrosa (Dargaud)
  • Dans la tête de Sherlock Holmes, de Cyril Liéron et Benoît Dahan (Ankama)
  • Moon River, de Fabcaro (Six pieds sous terre)
  • Blacksad T6, de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido (Dargaud)

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Quand la BD… parle de gastronomie

[Texte publié initialement dans l’édition de septembre-octobre du magazine des Cinémas Le Clap.]

En septembre, le Délicieux d’Éric Besnard va prendre l’affiche dans les cinémas Le Clap. Cette fiction historique nous ramène en 1789, à l’aube de la Révolution française, et nous fait suivre le parcours d’un chef qui, limogé par son maître, en viendra à ouvrir le premier restaurant. D’un médium à l’autre, l’univers de la gastronomie a inspiré nombre de créateurs et de créatrices. Et la sortie de Délicieux offre une belle excuse pour porter un regard sur quelques bande dessinée qui abordent ce sujet!

Je ne sais pas pour vous, mais j’ai l’impression que dès qu’on parle « gastronomie et bande dessinée », on pense à Astérix et à ses grands banquets.

Il faut dire qu’en dehors de cette scène fétiche, l’immortelle série de René Gosciny et Albert Uderzo a laissé, au gré des albums, une belle part à l’alimentation : outre les incontournables sangliers, on peut ainsi penser à la fondue au fromage d’Astérix chez les Helvètes, les « légères » collations d’Astérix chez les Belges ou encore le tour de France gastronomique du Tour de Gaule d’Astérix.

Cela dit, si vous êtes d’abord et avant tout à la recherche de festins, parmi les sorties plus récentes, je m’en voudrais de ne pas vous diriger vers La Passion de Dodin-Bouffant, de Mathieu Burniat (Dargaud). Cet album, adaptation du classique littéraire de Marcel Rouff, nous entraîne à force d’arômes, de saveurs et de passion vers la bonne chère… et disons qu’il est difficile de ne pas saliver, à divers moments, au gré des planches! 

Saveurs et émotions

Un autre des incontournables en matière de BD culinaire, ces dernières années, est La Cantine de minuit du mangaka Yaro Abe (Le Lézard Noir). Cette populaire série, active depuis 2006, explore les racines émotives de la nourriture : ce qui fait l’attrait d’un plat, ce n’est pas que son goût, ses ingrédients ou la qualité de sa préparation, mais aussi – voire surtout! – les souvenirs et les sentiments qui lui sont rattachés.

L’action s’ancre dans une petite cantine située au fond du quartier Shinjuku, à Tokyo. Clients d’un soir et habitués, de tous métiers ou toutes classes sociales, y passent entre minuit et sept heures pour profiter d’un bon plat. Selon leurs envies, le chef prépare presque tout plat à la demande, pourvu qu’il ait les ingrédients nécessaires. Au fil des courtes histoires, les plats se succèdent, le temps de brosser le portrait du client, entre une vie et un moment, entre émotion et humour, entre complexité et caricature.

Dessinée avec simplicité et efficacité, La Cantine de minuit est une forée vers la cuisine japonaise et sa variété. À travers le contact effectué entre plats et mémoire à travers une galerie de personnages, c’est aussi un portrait du Japon moderne qui se construit devant les yeux du lecteur au fil des courts récits.

Et si l’envie vous vient de poursuivre cette plongée dans l’univers alimentaire du Japon, vous pouvez compléter avec Le Gourmet solitaire, de Jirô Taniguchi et Masayuki Kusumi (Casterman) où, ici aussi, les auteurs explorent les croisements entre cuisine et émotion, chaque histoire amenant son plat gouté et les souvenirs ou pensées qui lui sont associés.

Rencontres et apprentissages

Pour rester dans les incontournables, il est également difficile de passer outre Les Ignorants : récit d’une initiation croisée d’Étienne Davodeau (Futuropolis).

L’ouvrage nous invite à assister à une rencontre entre un auteur BD et un viticulteur. S’ensuit alors le récit d’une prise de contact entre individus, spécialistes et passionnés – entre vins et bande dessinée. On y découvre une année d’échanges et de découvertes croisées, faisant de l’ouvrage une véritable double « porte d’entrée », tant vers le 9e Art que vers l’univers vinicole.

Le genre d’album à partager, qui trouve facilement sa place dans toute bibliothèque!

Et sinon, dans le registre des rencontres, il y a aussi Christophe Blain qui, il y a quelques années, était allé à la rencontre d’un géant gastronomique français dans son pédagogique En cuisine avec Alain Passard (Gallimard) – une occasion de discuter saveurs, méthodes, recettes ou philosophie (culinaire!). Et si l’idée de rencontres entre auteur BD et restaurateur vous plait, vous pouvez aussi profiter des agréables chroniques de Guillaume Long dans sa série À boire et à manger (Gallimard) – où la chose culinaire est explorée sous une multitude d’angles et avec nombre d’intervenants, entre recettes, anecdotes, portraits, informations et dégustations. 

Et au Québec?

Je m’en voudrais de ne pas compléter cette (courte) liste avec quelques titres québécois, dont tout particulièrement Cyril Doisneau et ses Carnets de bouffe (La Pastèque), où l’auteur s’est immiscé dans quelques cuisines de Québec et Montréal question de nous présenter l’envers du décor, et ceux qui l’habitent. En résulte, façon chronique, une belle forée dans l’univers gastronomique d’ici.

Côté bière, Nick Micho fait un travail similaire, nous amenant à la rencontre de brasseur de la Gaspésie ou de la Capitale-Nationale dans ses deux tomes de Bière dessinée (Sawin) construits à la façon d’un guide touristique.

En matière d’humour, clin d’œil au décapant Bestiaire des fruits, de Zviane (La Pastèque) où l’autrice se donne à la dégustation de fruits exotiques trouvés au détour de l’épicerie du coin. En résulte une analyse (avec critères!) absolument délirante… autant qu’un désir de les faire, nous aussi, ces expérimentations.

Enfin, pour ceux qui veulent sortir des cuisines pour aller plutôt vers les champs : le Faire campagne de Rémy Bourdillon et Pierre-Yves Cezard (La Pastèque) et Le Nouveau monde paysan au Québec de Stéphane Lemardelé (La Boîte à bulle). Il s’agit là de deux riches albums documentaires, finement réalisés et documentés, qui vulgarisent les défis de l’agriculture de proximité, et qui se consomment agréablement de façon complémentaire.

Ne reste plus qu’à vous souhaiter bonne lecture (et bon appétit!).

Quand la BD… fait du cinéma!

Texte publié initialement dans le magazine des Cinémas Le Clap, édition janvier-avril 2021

Le cinéma est «abonné» à la BD. Le nombre d’adaptations, année après année, en témoigne bien (on a qu’à penser, près de nous, au Yakari, adapté de l’incontournable série de Job et Derib, qui prend l’affiche cet hiver). Des comics, à l’univers franco-belge, ou au manga – tout y est passé… à géométrie variable, entre classiques instantanés et navets vites oubliés.

Cela dit, la relation entre le 7e et le 9e Art dépasse la simple sphère de l’adaptation.

La BD s’est fait, par exemple, «porte d’entrée» dans les coulisses de productions d’ici et d’ailleurs. Mathieu Sapin, avec ses deux tomes de Feuille de chou (Delcourt), nous a amené dans le Gainsbourg de Sfar. Au Québec, Cyril Doisneau l’a proposé avec son 31 jours de tournage (La Pastèque), suivant les diverses étapes de réalisation de l’adaptation «grand écran» du Paul à Québec, de Michel Rabagliati. L’auteur BD se place en témoin privilégié des moments clés de la production, profitant de la malléabilité de ses outils de prise de notes, pour nous partager des moments uniques.

Ce type d’exploration ouvre aussi une porte vers l’historique – en témoignent Hollywood 1910 (Glénat) de Stéfan et Laurent Astier, qui nous entraîne dans une suite d’anecdotes associées au tournage de In Old California, de D.W. Griffith, ou encore L’Envers des rêves (Casterman) d’Eric Werner et Raives, qui dresse un portrait du Hollywood des années 50.

Au-delà des chemins traditionnels, des industries parallèles ont également eu leur ouvrage de coulisses – comme la porno, avec La Fabrique pornographique, de Lisa Mandel (Casterman).

Traitements biographiques

Cela dit, quand on parle de BD et d’histoire du cinéma, ce sont les traitements plus biographiques qui sont les plus fréquents. De George Méliès à Louis De Funès, d’Humphrey Bogart à Patrick Dewaere, Charlie Chaplin, Brigitte Bardot, sans oublier ce Pasolini, une rencontre de Davide Toffolo (Casterman), ou encore le parcours croisé entre l’auteur BD Mathieu Sapin et Gérard Depardieu raconté façon journal dans Gérard, cinq années dans les pattes de Depardieu (Dargaud)… les biographies sont légion!

Plus récemment, c’est Laureline Matiussi et François Rivière qui se sont intéressés au touche-à-tout Jean Cocteau, avec leur Cocteau, l’enfant terrible (Casterman). Question de mettre de l’avant la riche carrière – entre autres cinématographique – de leur sujet, et avec le souci de mettre de côté une structure plus classique, l’ouvrage prend l’allure d’un procès. Une façon de rendre justice à son itinéraire presque chaotique en restant cohérent, tout en traitant le sujet avec justesse, et en allant d’abord vers l’émotif plutôt que le factuel – aidé par un dessin en noir et blanc sachant se faire à la fois figuratif et empreint de sensibilité.

Comprendre la technique derrière le 7e Art

Évidemment, les propositions peuvent sortir des coulisses.

Certains se questionnent sur les raisons qui font qu’on aime le cinéma (Pour en finir avec le cinéma, de Blutch, chez Dargaud).

D’autres en feront l’explication, comme Garry et Philippe Lemieux qui, avec un public jeunesse en tête, ont proposé la série L’Histoire du cinéma en BD (Michel Quintin). Dans le tome 1 publié fin 2019, L’Image en mouvement, on explique la naissance du médium à travers les travaux d’inventeurs comme Muybridge, Edison ou les frères Lumière. On y détaille avec humour et légèreté les façons par lesquelles on arrivait à tourner et graver sur pellicule quelques instants – faisant de cet ouvrage un bel outil pour initier les plus jeunes aux méthodes du cinéma.

Les auteurs annoncent ce premier tome comme un point de départ – on peut donc imaginer que d’autres de ces ouvrages didactiques suivront, pour raconter au fil de récits de 48 planches quelques 125 ans d’histoire du cinéma.

Des sujets partagés comme points de convergence

Reste que le point de convergence le plus stimulant entre cinéma et BD est, à mon sens, lorsque les sujets se croisent et se prolongent.

Par exemple? Nombreux sont les cinéphiles à avoir vu le American Sniper de Clint Eastwood. La vie et la mort de Chris Kyle ont aussi été explorées dans un brillant album à l’esprit journalistique de Fabien Nury et Brüno, L’Homme qui a tué Chris Kyle (Dargaud). Après avoir réinventé le polar BD avec leur série Tyler Cross, les deux créateurs se sont intéressés aux dernières heures de l’ex-militaire. Avec comme trame de fond la sortie du film et sans prendre position, Nury et Brüno nous ramènent en 2013 pour raconter le crime et ses conséquences, pour tenter de comprendre, sans tomber dans la morale. Le tout, avec un dessin efficace et un scénario solide, aidé par des recensions d’entrevues télévisées autant que par des moments privés forgés au fil de témoignages, ou imaginés à partir de relevés d’enquête.

Bref, autant de qualités qui ont fait de cet ouvrage l’un des meilleurs de 2019. Et mettant en exergue –justement– une (autre) des convergences possibles entre les deux médiums.